Une ministre déléguée qui survole la misère depuis New York
Le 10 juin 2025, Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée au handicap, prononçait un discours lisse et convenu devant l'Assemblée générale des Nations Unies. Entre les formules creuses sur "l'impératif moral" et les promesses d'un "nouveau modèle de coopération", la ministre dressait le portrait d'une France exemplaire en matière d'inclusion. Un exercice de communication internationale qui sonne comme une gifle pour les 12 millions de Français en situation de handicap confrontés quotidiennement à l'indifférence institutionnelle.
Car derrière la vitrine onusienne, la réalité française du handicap raconte une tout autre histoire. Une histoire faite de budgets insuffisants, d'accompagnants manquants, d'infrastructures inaccessibles et de promesses non tenues. Décryptage d'un discours qui illustre parfaitement le fossé entre la France qui parle et la France qui agit.
L'éducation inclusive : un mensonge à 20% près
"L'éducation inclusive en est un des piliers", proclamait fièrement la ministre, vantant un "nouveau modèle de coopération" censé révolutionner la scolarisation des élèves handicapés. Ce "nouveau modèle" ? Une appellation marketing pour masquer une réalité autrement plus prosaïque : il manque 20% d'AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap) dans l'académie de Lyon.
Cette pénurie n'est pas une exception lyonnaise mais le symptôme d'un système éducatif qui pratique l'inclusion à géométrie variable. Combien d'enfants handicapés se voient refuser l'accès à l'école ou contraints à un temps partiel subi ? Combien de familles doivent faire le choix entre scolarisation et accompagnement ?
Le "nouveau modèle" promis pour 2027 ressemble étrangement aux promesses de 2005, puis de 2015. Depuis vingt ans, l'éducation inclusive française avance à coup d'effets d'annonce, pendant que les enfants, eux, grandissent dans l'attente d'une égalité qui ne vient jamais.
Le sport "accessible à tous" : une promesse paralympique qui n'engage que ceux qui y croient
L'héritage des Jeux paralympiques de 2024 aurait dû "conforter la nécessité de rendre le sport accessible à toutes et à tous", selon la ministre. Pourtant, la réalité post-olympique déchante rapidement. Si 90% des personnes en situation de handicap pensent qu'il est nécessaire de pratiquer une activité physique, les infrastructures sportives restent largement inadaptées.
Les "défis incluent la disponibilité et l'accessibilité des installations sportives", reconnaissent même les études officielles. Autrement dit : les équipements manquent, et ceux qui existent ne sont pas accessibles. Vingt ans après la loi handicap de 2005, la France continue de promettre un sport "pour tous" dans des installations conçues pour quelques-uns.
L'effet d'annonce olympique masque mal une réalité têtue : faire du sport quand on est handicapé en France relève souvent du parcours du combattant. Entre les créneaux inexistants, les équipements inadaptés et l'absence de transport accessible, l'inclusion sportive reste un vœu pieux.
L'intelligence artificielle : la fuite en avant technologique
Face aux carences chroniques du système français, la ministre choisit la fuite en avant : "L'IA devient un nouveau levier de l'innovation sociale". Cette fascination pour l'intelligence artificielle révèle une approche typiquement française du handicap : plutôt que de résoudre les problèmes basiques d'accessibilité, on préfère miser sur des solutions futuristes.
Pendant que les personnes handicapées peinent à accéder aux transports, aux bâtiments publics ou à l'emploi, l'État promet des merveilles technologiques. Cette logique de l'innovation permanente permet surtout d'éviter de traiter les vrais sujets : pourquoi, en 2025, tant de lieux publics restent-ils inaccessibles ? Pourquoi l'AAH demeure-t-elle sous le seuil de pauvreté ?
Les chiffres qui dérangent : une France qui compte mal
Derrière les belles paroles se cachent des réalités budgétaires implacables. L'Allocation aux adultes handicapés (AAH) atteint désormais 1 033,32 euros par mois en 2025, soit une augmentation de 1,7%. Une progression qui masque mal une vérité dérangeante : l'AAH reste encore 100 euros sous le seuil de pauvreté.
Avec 1,35 million de bénéficiaires en 2023 (un record), l'AAH illustre parfaitement les contradictions françaises. D'un côté, l'État se félicite de la déconjugalisation de l'allocation, mesure symbolique importante. De l'autre, il maintient ses bénéficiaires dans la précarité en refusant de porter l'allocation au niveau du SMIC.
L'accessibilité des transports : vingt ans de retard assumé
L'accessibilité des transports publics devait être effective en 2015, selon la loi de 2005. Nous sommes en 2025, et la France accumule toujours les retards. À la SNCF, seulement 65% des gares prioritaires sont accessibles, avec un objectif repoussé à 79% pour fin 2025.
Clément Beaune, alors ministre des Transports, avait lui-même reconnu le "retard sur les objectifs en matière d'accessibilité dans les transports" et "la nécessité de mettre les bouchées doubles". Dix ans après l'échéance légale, la France continue de promettre qu'elle va "mettre les bouchées doubles".
Le syndrome français : promettre pour ne pas agir
Le discours de Charlotte Parmentier-Lecocq illustre parfaitement le syndrome français en matière de handicap. Depuis 2005, la France excelle dans l'art de la promesse renouvelée. Chaque nouveau gouvernement redécouvre l'urgence de l'inclusion, annonce des révolutions et repousse les échéances.
Cette rhétorique de l'engagement permanent masque une réalité plus triviale : l'absence de moyens réels et de volonté politique. Quand la ministre évoque la "boussole" des observations du Comité des droits des personnes handicapées de l'ONU, elle oublie opportunément que ce même comité a vertement critiqué la France en 2021 pour ses manquements.
Conclusion : l'hypocrisie à l'ONU
Le discours de New York révèle finalement la vraie nature de la politique française du handicap : une politique de vitrine, conçue pour l'exportation. Devant l'ONU, la France se pare des atours de l'exemplarité. Sur son territoire, elle accumule les retards, les insuffisances et les renoncements.
Cette schizophrénie institutionnelle a un coût humain considérable. Chaque jour, des millions de Français en situation de handicap subissent les conséquences de cette hypocrisie. Ils vivent la différence entre la France qui parle et la France qui agit. Entre la France des beaux discours et la France des budgets étriqués.
Vingt ans après la loi de 2005, la France continue de "réaffirmer son engagement" vers une société inclusive. Cette formule résume tout : après deux décennies, on en est encore aux réaffirmations plutôt qu'aux réalisations. Et pendant ce temps, à New York, une ministre déléguée peut toujours raconter l'histoire d'une France qui n'existe que dans ses discours.
L'inclusion, ce n'est pas ce qu'on dit à l'ONU. C'est ce qu'on fait dans nos écoles, nos ERP, nos centres culturels, nos services publics, nos biens communs, nos transports, nos entreprises... Et sur ce terrain-là, la France a encore beaucoup de chemin à parcourir avant de pouvoir donner des leçons au monde.
Le jour où Charlotte comprendra quelque chose à nos revendications...
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